DICTIONNAIRE AMOUREUX DE L'AIDANT

Dictionnaire Amoureux de l’Aidant…. C comme CIVIL

Un jour une infirmière a demandé à maman : vous faisiez quoi dans la vie ?

Et là, l’œil de maman s’est éclairé, elle allait enfin pouvoir dire qu’elle avait été « RESPONSABLE D’ETABLISSEMENT » ! et oui, Messieurs Mesdames, elle avait été chef, et même très très chef… bon, l’établissement en question était un bureau de poste, mais à la fin de sa carrière c’était un très gros bureau de poste. Maman était très fière je pense, d’avoir pu prendre l’ascenseur social et de son statut de femme chef. A l’époque c’était assez peu répandu. Cela flattait son ego, d’avoir de belles responsabilités et d’être aussi souvent la rare femme au milieu des hommes.

La fin de carrière de maman avait été plutôt amère, et sa retraite, en conséquence un peu mal acceptée. Elle était descendue de son piédestal mais elle avait réussi à enjoliver la réalité. Drama Queen, quand tu nous tiens!

Se voir plonger dans la maladie fut pour elle une double peine : non content d’être malade, elle était aussi diminuée ; tributaire des autres, dépendante du corps médical, simple numéro au moment des examens médicaux, pauvre chose contrainte d’attente comme les autres, parmi la foule, en salle d’attente, forcée à fréquenter le commun des mortels.

Quand cette infirmière a posé LA question, son visage s’est éclairé ; ses grands yeux verts ont retrouvé leur éclat.

Quand on passe la porte de l’hôpital, c’est un peu cliché de dire que l’on devient un numéro, mais c’est cependant la réalité toute vraie. On devient le dossier que l’on se trimbale. Maman mettait le sien dans un grand cabas très encombrant, et ses analyses dans une pochette Sonya Rykiel, toujours stylée Mamoune…

Un jour, j’ai lu dans un Blog de soignants de services palliatifs que leur superviseur leur demandait de penser à chaque fois qu’ils devaient entrer dans une chambre que « derrière la porte, il y avait la merveille de quelqu’un ».

angoisse visage slow

Avant de tomber malade, nos proches, nos amis, nos amours étaient des gens joyeux, des facteurs, des fleuristes, des managers, des sportifs, des flemmards, des amants, des coincés, des timides, des poètes, des rêveurs, des comptables,… Avant d’être un malade, notre amour est une personne autonome qui sait prendre des décisions, qui a son libre arbitre, et qui est jaloux de sa liberté.

Bien avant que l’infirmière ne pose cette question à maman, j’avais cette pensée chaque fois que je l’accompagnais en rendez-vous ; car je savais moi quelle femme forte et autoritaire elle pouvait être, quelle femme fière elle était, quelle beauté du sud elle avait été, quel charme elle savait déployer.

Je connaissais, ô combien,son ego et sa volonté d’être au centre de tout, de toutes les attentions et de toutes les préférences. Je me doutais qu’elle devait souffrir aussi de cela et sa coquetterie impeccable l’illustrait à chaque rendez-vous. « Mais, madame Martinez, il faut enlever vos boucles d’oreilles! » .Je souriais en entendant une infirmière lui répéter inlassablement à chaque scanner les consignes de préparation pour l’examen sanction…. Maman s’y rendait à chaque fois avec ses énormes créoles en argent qui lui allaient si bien.

Le malade est avant tout un civil. Il a une histoire. Une vie, des vies, il a vécu et autour de lui nous gravitons comme des petites fourmis en quête d’un quotidien à assumer et embellir aussi.