C’est une question qui me taraude depuis des mois : naît-on aidant ?
L’expérience que je vis depuis quatre ans m’amène à beaucoup m’interroger sur la place que l’on nous donne dans la société ou au sein du cercle familial. D’après moi, on ne choisit pas de devenir un aidant familial, car s’occuper progressivement d’un proche dépendant, handicapé ou atteint d’une pathologie, relève d’un geste « naturel ». Après réflexion, je me dis, qu’ il en a toujours été ainsi, depuis ma plus tendre enfance. Pour ma part, c’est une évidence : J’étais l’aînée, une petite fille à qui l’on a vite inculqué les valeurs de respect, de sollicitude, d’obligeance et d’abnégation.
Le déterminisme familial

Ma maman est handicapée, née avec une dysplasie de hanche, elle a dû subir de nombreuses interventions tout au long de sa vie pour atténuer tant bien que mal cet handicap. Aînée d’une fratrie de quatre enfants, elle était déjà au centre des préoccupations familiales à une époque où la chirurgie orthopédique n’était pas vraiment à la pointe. J’ai toujours vu maman se battre contre son handicap mais celui-ci a souvent eu le dessus: hospitalisations, centres de rééducation, prothèses, infection, nouvelles hospitalisations, broches dans le genou, gisant dans un lit d’hôpital en plein milieu de notre salon, auxquels s’ajouteront un AVC, quelques semaines de coma, puis une insuffisance rénale sévère.
J’ai très vite été une petite maman ayant le sens des responsabilités, m’attachant à soulager la mienne dans les tâches ménagères, les courses, les repas, l’éducation de mon jeune frère. Bref, j’étais déjà « aidante » sans le savoir.
La charge mentale : avant d’être une expression à la mode, une réalité assumée
Les années passent et ma place dans la société se confirme: mes amis me voient comme fédératrice, bienveillante à l’écoute et toujours là pour les autres. Ma famille me confère une place centrale, catalyseur et « en charge », tel un pilier indétrônable. Je suis celle qui gère, ne doit pas faillir ni avoir de revendication, alors que d’autres papillonnent dans l’insouciance en faisant fi des responsabilités ou d’une quelconque solidarité.

Depuis quatre ans, tout s’est accéléré. Mes doutes concernant des troubles de la mémoire chez maman se sont confirmés. Les signes ne trompaient pas : tendance dépressive, perte de la mémoire courte, agressivité, laisser-aller dans la vie quotidienne (alimentation, hygiène, santé, administration, finances), perte d’autonomie. La dégénérescence neurologique est avérée lors d’un bilan effectué aux forceps. C’est la douche froide !
S’enchaîne un tsunami. Après le choc, la somme des tâches à accomplir et des émotions à contenir.
Je me souviens de maman complètement hermétique au diagnostic, ne comprenant pas ce qu’elle faisait là, face au neurologue dans ce service de gériatrie. Moi, à la fois désemparée essayant d’acquérir des informations précises sur la maladie et paralysée par la peur de l’après, du comment, de la posture à adopter envers elle.
Alors que mes propres fils deviennent des adolescents, un nouvel « enfant » est à prendre en charge !
Au-delà du fait qu’il faut continuer à tenir son rôle de mère, d’épouse, de femme au foyer et de cadre dynamique tributaire de déplacements réguliers, d’une charge de travail trop élevée dans un environnement stressant aux vives tensions professionnelles, il faut désormais, endosser une casquette supplémentaire. Tel un super héros… assurer dans son rôle d’aidant. Il en va de la santé de son proche.
La plus grosse difficulté réside dans la prise du « lead » sur son ascendant.
Le premier obstacle est donc psychologique. La relation doit inévitablement s’inverser pour maîtriser au mieux la situation, garantir un environnement plus sécurisé et serein pour son parent et compenser la perte d’autonomie. C’est une intrusion dans la liberté d’autrui, dans l’intimité si précieuse à sa dignité.

Pour ma part, il a d’abord fallu sacrifier une belle maison de famille à laquelle maman était très attachée. Beaucoup trop grande, cette maison n’était plus adaptée à son handicap et devenait un gouffre financier et un endroit trop risqué pour y laisser (sur)vivre un sénior devenu vulnérable.
Si les décisions sont prises en toute objectivité pour un aidant qui prend soin d’un proche en situation de perte d’autonomie, elles ne suscitent pas forcément toujours l’adhésion de l’entourage non-aidant, si loin d’une prise de conscience de par leur distance voulue ou naturelle. Il faut arriver à un consensus pour préserver la santé et le bien-être de son parent, se projeter dans le temps et anticiper les conséquences de ses choix.
Le deuxième obstacle est social.
Le diagnostic posé, on se sent très seul, perdu au milieu de l’océan ne sachant par quel bout aborder cet accompagnement. Car force est de constater qu’effectivement notre belle nation manque cruellement de lien en la matière. Qui contacter ? quand ? quelles aides ? c’est un vrai parcours du combattant.
Un peu d’aide pour les aidants
Jusqu’au jour où vous trouvez un peu de lumière, comme ce fut mon cas en suivant une formation dispensée par France Alzheimer. Une démarche qui permet aux aidants de s’informer sur la maladie et les aides possibles, sur l’accompagnement au quotidien, communiquer, comprendre. C’est une expérience humaine où chacun se livre sur son quotidien et trouve un peu de réconfort au sein d’un groupe de paroles. Cela permet aussi de mettre en perspective notre propre vécu au regard des différents stades de la maladie évoqués par les aidants et de prendre conscience de ce qui nous attend…

Puis le soutien s’organise peu à peu portant sur de nombreux aspects de la vie quotidienne : assistance, participation à l’administration des soins et du suivi médical, accompagnement psychologique, démarches administratives…
L’aidant trouve toujours l’énergie nécessaire pour accompagner le proche en perte d’autonomie. Il fait partie de ces personnes qui ne se ménagent pas et peuvent parfois être touchées par un épuisement physique et moral. Ça été mon cas en l’espace d’une année avec un descente en pente douce vers le burn-out. Un repos contraint amène à une prise de conscience: il est vital de se préserver ! Et pour se préserver, il faut faire des choix. J’ai fait celui de combattre toutes sources de stress en m’accordant du temps et me recentrer : courir, méditer, écouter son corps et ses pensées…. Ce temps si précieux est régénérateur. Il permet peu à peu d’atteindre l’équilibre nécessaire entre énergie et sérénité pour avancer davantage en harmonie avec soi-même mais aussi avec les autres.
Un parcours jalonné de petites victoires

Depuis quelques mois, j’ai constaté une amélioration de l’état de santé de maman. Le fait d’avoir emménagé dans un plus petit appartement, proche du mien, d’avoir adapté sa salle de bain aux normes PMR, de lui avoir mis en place une assistance de vie hebdomadaire, de prendre en charge son suivi médical…apportent des repères, la rassurent et lui confèrent une « liberté retrouvée » grâce au maintien de son autonomie. Cela semble avoir un effet positif sur son état : plus joyeuse, les troubles liés à sa pathologie tendent à s’atténuer augurant un répit, un sursis face à ce fléau dégénératif du cerveau. Mais pour combien de temps encore ?
Aider : donner un supplément de sens à sa vie.
Aujourd’hui, j’ai 43 ans, j’ai quitté ma vie de cadre ultra dynamique pour vivre mieux et être plus disponible afin d’aider mes enfants à prendre leur envol pour leur vie d’adulte, et accompagner nos séniors dans leur perte d’autonomie. Car venir en aide à ceux qui en ont besoin permet aussi de donner un sens à sa vie.
Souvent, on ne se rend pas compte de la valeur des instants passés avec sa famille ou ses amis que lorsqu’on les a perdus. Être aidant, c’est être ce « fil » qui lie une famille pour vivre des moments heureux avec elle, communiquer et apprécier les choses simples. C’est aussi voir tous les évènements qui jalonnent votre vie sous un autre angle. C’est être en paix avec soi-même en dépit des douleurs physiques et émotionnelles qui ne manquent pas de traverser notre existence.
