A cette question d’un admirateur : Combien de temps avez-vous mis à faire ce dessin ? « 60 ans !» avait répondu Picasso.

Avant le décret de confinement, nous tombions unanimement d’accord pour voir dans nos agendas saturés le premier marqueur d’une vie où le rythme effréné, l’urgence, la vitesse avaient pris le dessus. A cela, s’ajoutait la précipitation, la nécessité d’accélérer pour parvenir à tout réaliser. Une forme d’hyperactivité boulimique; un constat sans appel et une prise de conscience d’autant plus massive en ces temps de pandémie mondiale.
Les exemples ne manquent pas, tant dans nos obligations professionnelles que nos rendez-vous amicaux ou familiaux. Bien sûr, les contraintes de disponibilité propres à chacun sont indéniables mais il y a comme une forme d’injonction sociale, si ce n’est personnelle, à faire toujours plus, et aussi,… à le montrer!

Cet hiver la grève, et maintenant la crise sanitaire, nous clouent au sol, nous forcent à changer de braquet. Bien avant cela, dans mon cas, c’était un autre événement, beaucoup plus intime mais tout aussi sidérant qui me stoppa net.
Cher lecteur vous le savez, c’est la maladie soudaine et foudroyante de maman qui me conduisit à mettre ma vie entre parenthèses. L’état d’urgence intérieur mit fin à toute autre urgence. Quand la vie, ou plutôt quand la maladie vous contraint à ralentir, vous accordez une importance toute relative à vos priorités de la veille. Mais après l’avoir subi, j’ai pu apprécier à sa juste valeur, et définitivement adopté le mode « Slow Life ». C’est forte de cela que j’aimerais vous faire partager cette expérience très particulière.
Les vertus du ralentissement
Avec le confinement et ses répercussions, de plus en plus de voix s’élèvent pour voir dans ce soudain ralentissement général l’occasion de repenser en profondeur notre fonctionnement, re-tisser des liens, entre humains, ou nous relier à la nature. Nous reconnecter au vivant et aux choses simples.

Depuis le décret de notre mise sous cloche, les témoignages de tous horizons affluent :
· Une amie m’a dit qu’elle allait enfin pouvoir apprendre à son fils de 4 ans à faire du vélo (bonne chance sur la terrasse !)
· Le jardin de ma sœur est rose de plaisir à l’annonce de ses prochaines et régulières visites
· Pour ma part, j’ai décidé de faire mon pain moi-même (quelle aventure!), de réaliser une nouvelle recette de cuisine par semaine (je ne crois guère à la durée de 15 jours annoncée), de finaliser ma future expo photos, dont le thème est…. « Slow life » et dans un tout autre registre de m’attaquer à l’histoire de ma famille.
· Sur les réseaux sociaux, fleurissent de conseils de lecture, de visionnage de films, de visites de musée virtuelles, de cours de gym en live,…. Un coup de cœur tout particulier pour le spécialiste du confinement Thomas Pesquet, qui prodigue via les réseaux sociaux un foule de conseils utiles et ludiques.

Lenteur, luxe et création
Pourtant tout cela n’est pas nouveau. Bien avant l’arrivée de ce virus mondialisé, des réflexions de fond émergeaient et se voulaient de plus en en plus disruptives de nos modes de consommation. Parmi elles, le mouvement « Slow » qui, depuis quelques années, s’organise à travers le monde : Slow Food, Slow Travel, Slow Flower, et même Slow Fashion .
« J’ai le sentiment que nous vivons une époque d’accélération sans précédent. Le résultat de cette hâte est un appauvrissement de la création. Dans la mode, on a à peine fini une collection qu’on passe à une autre, puis à une autre,(…) constatait le couturier Azzedine Alaïa, qui avait choisi de présenter ses collections quand elles étaient prêtes et non selon le calendrier fixé.

Et si la lenteur, était la qualité de savoir jauger à sa juste valeur et profiter du temps qui nous était donné ? Et si c’était une autre manière de vivre, d’agir calmement après avoir longuement – ou rapidement – réfléchi. S’il nous était donné de pouvoir prendre le temps de faire les choses avec rondeur, harmonie, créativité ?
Résister
« Chacun son rythme, comme on dit. Je ne pense ni du mal , ni du bien de la lenteur ou de la vitesse. Ce qui ne va pas, c’est l’accélération aliénante, imposée; ces échéances toujours plus rapprochées, intenables. »
Dans « Rendre le monde indisponible » la philosophe Hartmud Rosa prône, non pas un éloge de la lenteur mais un regard indulgent sur les personnes lentes, qui vivent à leur propre diapason. « Les lents ont leur propre rapport au temps; en fait, ce sont des résistants. »

On en revient donc à cette notion de résistance, élevée à son plus haut point ces derniers jours avec la déclaration « d’état de guerre » mentionné à plusieurs reprises par le Chef de l’État.
Notre utilité sociale, notre productivité, se voit relativisées en temps de pandémie. On en appelle à notre créativité pour faire face à la réalité quotidienne du confinement. Qu’elle soit mise au service de l’éducation de nos enfants, de la protection des plus fragiles et isolés, ou pour soutenir le corps médical, on assiste à un renouveau de la pensée créative face au ralentissement de la cellule familiale, d’un pays, du monde. Et ça fait du bien….
Ouvrages de référence
- « Prendre le temps » Azzedine Alaïa et Donatien Grau . Actes Sud
- « Éloge du retard » Hélène Heuillet – Albin Michel
- « Rendre le monde indisponible » Hartmud Rosa – La découverte
- « Les hommes lents, résister à la modernité » Laurent Vidal – Flammarion